« Pour la beauté du geste » sur la ferme en permaculture de Coët Kra

« Les jardins de Coët Kra », dans le Morbihan, est une ferme de 5,5 hectares en permaculture où Jonathan élève des races anciennes locales pour la viande, et accueille des hôtes à venir partager, lors d'un séjour, sa philosophie de vie agricole.
 
C'est en prenant la voie express que je rejoins Vannes, jusqu'à Plaudren, petite commune située dans les Landes de Lanvaux à la frontière entre la Bretagne de langue bretonnante et celle du gallo. Juste à côté du Golfe du Morbihan, l'Argoat déroule son paysage bucolique de pâturages et de forêts où les vieilles chapelles s’éparpillent entre les chemins creux et les mégalithes. J'aperçois au bout d'un chemin une maison en granit au toit d'ardoises. Bienvenue aux jardins de Coët Kra.
«Tout ce que je fais ici, c'est pour la beauté du geste » me dit Jonathan, bonnet en laine vissé sur la tête, pendant qu'il arpente son champ, bâton de bois à la main. Un troupeau de vaches et leurs veaux y paissent tranquillement, tandis qu'en contrebas, on aperçoit les taches noires et blanches des moutons qui se détachent du vert des prés.
 
 
15 ans dans le négoce de viandes avant son changement de vie
 
Dans une autre vie, ce Vannetais d'origine a travaillé dans le négoce international de viande pendant quinze ans. « En 2008, un de mes clients Brésilien m'a fait survoler son immense exploitation dans l'Amazonie. C'était l'époque des brulis. Quand j'ai vu tous ces arbres partir en flamme, j'ai pris brutalement conscience de l'impact environnemental de l'élevage sur la déforestation. »
C'est alors qu'il décide de revenir ici, et met en place en 2018 cette exploitation agricole de 5,5 hectares pour y faire de l'élevage biologique, à faible effectif, de deux races anciennes locales dans le but de les préserver : l'Armoricaine, bovin de taille moyenne à la robe marron foncé, dont il ne reste en France que trente taureaux. Nouez, que Jonathan cajole, en est d'ailleurs un des fiers représentants. Puis le Lande de Bretagne, mouton au pelage noir ou blanc. La viande produite est vendue uniquement en direct à des particuliers. « Après mon stage en permaculture à la ferme du Bec Hellouin (vue dans le film documentaire « Demain » ndlr.), je voulais faire du maraichage. J'ai donc passé le BPREA (Brevet Professionnel de Responsable d'Exploitation Agricole) en 2018, mais j'ai trouvé ça trop contraignant et me suis mis à l'élevage » continue Jonathan. Il en a quand même gardé tous les principes : les outils manuels qui utilisent la force du bras, comme cette ancienne faux, le compost à froid « quand j'arrache des mauvaises herbes, je les laisse directement sur place se décomposer », le paillage des plantes et des légumes, qui servent pour la table d'hôte et sa consommation personnelle. Il construit aussi trois chambres d'hôte, directement dans sa maison au premier étage, ainsi que deux logements plus insolites : une cabane en bois perchée qui surplombe le pré et ses animaux, et une roulotte dans le jardin. Mais ce qu'il souhaite plus que tout, c'est partager sa philosophie de vie autour de la table d'hôtes, tout en dégustant un navarin d'agneau aux légumes de la ferme et au cidre. « Ici, c'est un projet global de partage : j'ai procédé à un changement de vie en général, pas uniquement dans ma vie professionnelle. Je veux montrer aux gens qu'une autre façon de vivre est possible ».
 
 
Sa ferme : « plus qu'un bien immobilier, c'est un refuge »
 
Tout dans la ferme de Coët Kra appelle à la simplicité, un retour aux sources : l'arrondi parfait du potager mandala en permaculture, la petite serre touffue dans laquelle trônent chaises et table en fer forgé, comme une invitation à la lecture, l'espace de détente en bas de la cabane avec un emplacement pour le feu... Aurélie et ses deux filles, Sidonie 14 ans et Corentine, 10 ans, originaires de Paris, ne s'y sont d'ailleurs pas trompées. « Je cherchais des vacances éco-responsables pour transmettre des valeurs à mes enfants, pour vivre une expérience en immersion dans une exploitation agricole » me raconte Aurélie, brune souriante aux cheveux courts. « On voulait aussi participer ! » rajoute Sidonie, 14 ans. « J'ai éclusé internet avec les mots clés « Bio », « Permaculture » et « Bretagne » avant de trouver ». Enchantées par leur premier séjour cet été, elles sont revenues passer une semaine pendant les vacances de la Toussaint et elles n'ont pas chômé ! Elles ont fabriqué le rocking-chair de la terrasse, désherbé, fait des boutures et des semis, réaménagé la serre, poncé des palettes, fait des confitures, des compotes, ramassé des pommes. « Cet après midi, on veut faire de l'huile essentielle de romarin avec l'Alambic de Jonathan ! » me dit, infatigable, Sidonie tout en brossant Awenn, placide jument de Trait Breton, pendant que Corentine court après Galipette, une petite chèvres noire. « J'aime les animaux, le fait qu'il n'y a pas grand monde, l'environnement est agréable. J'aimerais bien faire ça toutes les vacances ! » « On a même trouvé le nom d'un d'un petit veau : Rosenn ! » rajoute Corentine. Jonathan aimerait s'agrandir, il a d'ailleurs trouvé 17 hectares non loin, s'associer avec un paysan boulanger, et proposer tous ses produits dans un magasin à la ferme pour boucler la boucle.
« Je ne regrette pas, j'ai donné du sens à ma vie. S'il m'arrivait quelque chose, je n'ai pas envie que mes fils vendent. J'aimerais qu'ils gardent le lieu. C'est plus qu'un bien immobilier, c'est un refuge, qui permet d'avoir une autonomie alimentaire » conclue-t-il avant d'allumer le gaz sous la cocotte dans laquelle mijote son fameux navarin d'agneau.
 
Un reportage de Constance Decorde